L´autobus
Métailié suites par Fortino
Quand tu es bluffé par un roman de moins
de cent trente pages, ayant pour décor un village de la pampa argentine
pendant le règne de Perón, tu te dis celle qui l’a écrit n’est pas une
manchote.
Tous les ingrédients d’une existence
morne sont présents dans ce bled paumé et poussiéreux : un hôtel quasi
vide au tenancier taciturne, un homme circulant à bicyclette et
colportant des nouvelles plus ou moins fondées, un garde barrière dont
tout le monde ignore la sobriété pour ne retenir que son alcoolisme
passé, une poignée de notables engoncés dans leur cercle étriqué, une
logeuse avec une réputation tout sauf immaculée, un commissaire veule et
autoritaire, le tout s’ordonnant autour de la voie ferrée et de la
place où s’arrête le bus.
Et précisément, là se situent les
premiers éléments perturbateurs. Alors que le bus soudain refuse de
s’arrêter et poursuit son périple malgré les gesticulations de ceux qui
veulent le prendre, la barrière du passage à niveau reste fermée sur
ordre du sergent Garcia local. Ces deux phénomènes deviennent des sujets
d’interrogation et de conversation, voire de distraction, à mesure que
leur persistance perturbe la vie et les projets de quelques habitants.
C’est toute une vie provinciale qui se décompose lorsque ses liens avec
le monde rompent. Ainsi, Ponce, l’avocat fier comme Artaban, venu
s’enterrer là pour punir sa femme de lui avoir mis le grappin dessus,
perd de sa superbe lorsque sa sœur ne parvient pas à rentrer chez-elle.
Comment sa prestance et son prestige ne peuvent-ils suffire à mettre fin
au désordre ?
Eugenia Almeida enquille une série de
scènes de vie, à la manière d’un film, pour évoquer en filigrane une
réalité que son pays n’a que trop bien subie au cours de son histoire
récente : celle de la lutte contre ceux que les pouvoirs autoritaires
ont désignés comme subversifs, non pas au cœur du monde urbain, mais à
des kilomètres de celui-ci, dans un trou qui se rêve à l’abri de toutes
ces turpitudes.
A défaut de promouvoir les transports en
commun à la veille de la xième conférence sur le climat qui se tient au
Qatar, l’auteur nous offre un périple roboratif au pays du maté et de
la poussière, grâce à un roman de première classe, auquel le personnage
principal -essentiel dans toutes ces contrées d’Amérique du Sud, qui ne
fait que passer, donne son titre : l’Autobus !
No hay comentarios:
Publicar un comentario