« Il y a des choses qu’on ne comprend pas », et qui devraient peut-être rester incompréhensibles. Comme un suicide, par exemple. En l’occurrence, celui de Julia Montenegro, qui s’est tiré une balle dans la poitrine après avoir menacé un homme avec son revolver. A la sortie d’un café, en plein jour, devant plusieurs témoins. Pourtant, ceux-ci sont incapables de décrire l’homme en question, parti sans demander son reste. Mais après tout, quelle importance, c’est un suicide, « un épisode confus, sans danger pour les tiers », et sans enquête policière. Mais un homme veut comprendre : Guyot, journaliste, cherche à savoir qui était cette jeune femme qui semble n’avoir ni famille ni passé, et tente de remonter la piste de l’inconnu qu’elle a mis en joue avant de retourner son arme contre elle. Cet homme a la clé, est la clé…
Photos aux silhouettes découpées, journaux archivés aux pages arrachées, la vérité est dans les espaces vides, dans les silences : « Il restera dans la brume de ceux qui ont compris quelque chose d’essentiel, quelque chose qui se trouve à la racine, qui explique tout et qui, cependant, ou peut-être pour cela même, ne peut se traduire en mots ». Guyot s’entête, trouve le fil d’Ariane et le suit, sans se demander s’il va le mener vers la sortie du labyrinthe ou dans l’antre du Minotaure. Braqué sur son objectif et aveugle à tout ce qui n’explique pas la mort de Julia, il explore la limite entre suicide et meurtre et ne se rend pas compte que, dans sa quête, il réveille les fantômes du passé. Menaces, passages à tabac, assassinats, les victimes collatérales s’accumulent. Parce que le passé, en Argentine, n’est pas réellement passé, et nombreux sont ceux qui ont encore intérêt à garder leurs secrets bien enfouis dans la boue.
Cette histoire est sombre et oppressante comme l’atmosphère qui régna en Argentine pendant les années de dictature. Dans l’ombre, le terrorisme d’Etat à l’oeuvre pendant cette période a survécu à l’avènement de la démocratie, et tire encore les ficelles des institutions, engluant dans sa toile nauséabonde la police, la justice, la politique et les médias.
Ce roman magistralement construit fait la part belle aux dialogues secs, tendus, sans fioritures, et enchaîne les chapitres, assez courts, en alternant les points de vue, et crée ainsi une impression d’urgence à peine respirable. C’est à la fin du roman que le titre (français) prend tout son sens, qui vous glace le sang. Le lecteur a observé les protagonistes avancer en parallèle vers leurs objectifs contradictoires, et, sur la ligne d’arrivée, contemple la photo-finish, qui est floue : qui a vraiment gagné ?
Dans un entretien au journal argentin Pagina/12 du 27 juillet 2015, Eugenia Almeida disait que pour elle, « le passé n’est pas passé. S’il explique notre présent et conditionne notre futur, il n’est pas passé ». C’est tout le malheur des protagonistes de ce roman, et de l’Argentine.
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