Fausses pistes
La pièce du fond, c'est un peu comme la vie, des événements
presque anodins ou des visages inconnus qui nous font lever les yeux,
qui nous donnent envie de parler, d'agir et d'aller vers l'autre. Mais
l'autre n'est déjà plus là ou n'est pas ce que l'on avait cru. Comme
parfois, comme souvent dans la vie, les choses ne sont pas ce que nous
les rêvions. Pour autant, à chaque fois il se passe quelque chose, et
des rencontres ont lieu. Rencontres avec l'autre. Avec soi-même.
Un
inconnu sur un banc qui ne dit rien, qui ne mendie pas, qui est
simplement là. Cela pousse irrésistiblement Sofia, la serveuse du bar,
pour aller à sa rencontre, pour tenter de lui parler tout en lui
apportant à manger. Qu'importe si l'autre ne parle toujours pas, une
rencontre a eu lieu. Prendre le temps du silence, cela ne se fait pas
ainsi, et il y a quelque chose de la résistance et de la rébellion chez
Sofia dont le comportement dérange encore plus que cette présence muette
sur un banc de la ville. Mais voilà que l'homme disparaît...
L'hôpital
psychiatrique de la ville accueille lui une nouvelle médecin, Elena
Erbeste. Son arrivée va un peu perturber les choses et ébranler la
légende sur laquelle le directeur de l'hôpital a bâti sa carrière. Elena
a aussi une façon de dire "comment ça va?" qui en fait une vraie
question, qui témoigne d'une réelle attention à l'autre. Cela ne plaira
pas à tout le monde.
Autour de la rencontre et de la disparition
de l'homme, des vies vont se croiser et se toucher jusqu'à retrouver de
bonnes raisons d'être. Il y a par exemple Frias, le policier originaire
de Santa Fe, la ville où tout une part de sa vie s'est noyée dans le
fleuve. Il y aussi Norma, à l'accueil de l'hôpital.
Dans un monde
où la violence, la méfiance et la malveillance peuvent surgir à tout
moment, dans leur nudité caricaturale (Palacios, le flic buté et macho,
imbu de son pouvoir ou Miriam la secrétaire médicale médisante et
méchante), ils sont quelques-uns à essayer de se comporter en humain, à
sourire et à simplement parler. Rencontres qui se font et se défont, qui
peuvent n'aboutir à rien, sauf à révéler des illusions ou des erreurs.
Qu'importe! Elles ont existées.
L'écriture précise d'Eugenia
Almeida fait mouche et nous montre ce qui est, sans en rajouter dans la
démonstration psychologisante ou sociologisante. Il n'est pas toujours
besoin de grands mots pour dire. La pièce du fond nous laisse
un peu un goût d'inachevé et le récit se termine sur une multiplicité de
points de suspension. Comme la vie qui nous embarque sur de fausses
pistes et nous laisse avec nos choix parfois impossibles...
Et la
pièce du fond? C'est cette pièce qu'on ferme et qu'on oublie, dans
laquelle chacun a entassé tout un bric à brac de souvenirs plus ou moins
heureux ou malheureux. Chacun des personnages d'Eugenia Almeida a la
sienne. Bien présente et plus ou moins bien fermée. Comme dans son
précédent roman, l'autobus, il suffit d'un rien pour que la
porte s'en entrouvre, que le bruit cesse un instant et que les choses
tues se fassent entendre, qu'elles se révèlent sous un autre jour.
Marc OSSORGUINE
Eugenia ALMEIDA - La pièce du fond (La pieza del fondo, 2009) - traduit de l'espagnol par François Gaudry - Editions Métailié, 2010
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