Les mélancoliques et les rêveurs d’Eugenia Almeida
Par Elisabeth Jobin
L’Autobus, premier roman de l’auteure argentine Eugenia
Almeida, s’était posé, il y a trois ans, comme une plume sur les rayons
de la bibliothèque contemporaine sud-américaine. C’était l’histoire d’un
village poussiéreux que seul un autobus reliait au monde. Y vivaient
des personnages fermés à toute nouveauté, à peine imbibés de rumeurs,
nourris à quelques ragots ramassés à l’angle de deux rues. Déjà, dans
l’écriture, on observait cette attention particulière donnée aux mots et
l’absence remarquable de tout adjectif superflu. Le passé des
personnages se déclinait en une série de détails fleuris, donnant au
lecteur l’impression de lire ce court roman les yeux éblouis par le
soleil blanc d’Argentine.
La Pièce du fond, deuxième roman de l’auteure, évoque
lui aussi nombre d’images. Celle, tout d’abord, d’un cordon sur lequel
s’enfilent, comme des perles, les personnages du livre. Ces derniers se
succèdent, se ressemblent légèrement en ce qu’ils sont tous habités par
la même mélancolie. «On s’habitue. On trouve son rythme. Un temps. Mais
un beau jour, on oublie qu’on est habitué. Alors on perd son écorce et
on se rappelle…» raconte l’un d’eux. Bientôt, le lecteur se sent si
proche des personnages qu’il lui est presque possible de les toucher.
Par le biais de dialogues, les portraits sont dressés, tandis que les
mots prononcés, entre ce qu’ils sous-entendent et les non-dits qu’ils
tentent de masquer, sont chargés d’émotion. C’est que «la voix vient des
profondeurs du puits où pourrissent les choses. Ces choses petites,
dociles, ces maisons vides qui se construisent entre le déjeuner et le
travail.»
Mise en lumière
L’histoire, quant à elle, s’organise autour d’un clochard muet à qui
Sophia, une jeune serveuse, et Frìas, un policier veuf, se confient. Ces
derniers se retrouvent démunis lorsque l’homme est envoyé dans un
hôpital psychiatrique. Commence alors leur recherche, la rencontre
empreinte de malaise entre Sophia et Elena, doctoresse nouvellement
arrivée dans la petite ville. Elena, sa vie nerveuse, son caractère
anguleux et son vocabulaire rempli de douceur. Son monde, cependant, est
ébranlé lorsqu’elle commence à travailler à l’hôpital. Là-bas, il
semble que tous connaissent le récit de son enfance agitée. Une miette
de passé qui leur a été racontée comme une légende par le directeur,
pressé d’interpréter la guérison de la gamine perturbée d’alors en un
miracle qu’il aurait lui-même orchestré.
Et, lentement, les éléments de la vie des personnages sont mis
en lumière. A l’image de cette pièce du fond qu’évoque le titre. Une
chambre encombrée d’objets hétéroclites, auréolés de mystère qu’Elena
découvre dans son appartement et commence à explorer. De la même
manière, l’auteure fait sortir ses personnages de l’ombre. Elle fait
briller leurs histoires, les entoure de sa langue délicate et
particulière, avant de les donner en cadeau à ses lecteurs.
«La Pièce du fond» est le deuxième roman de l’Argentine Eugenia Almeida
Trad. de François Gaudry
Métailié, 200 p.
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