Progression dans les ténèbres (L'échange)
Si L'échange d'Eugenia Almeida était un film, il serait d'évidence tourné en noir et blanc, dans un style expressionniste, avec des ombres surdimensionnées se dressant à chaque coin de rue du vieux Buenos Aires.
Le roman frappe par la brièveté de ses chapitres: beaucoup d'entre eux sont des dialogues directs où le nom des interlocuteurs n'apparait qu'avec retard, presque de façon accidentelle.
L'histoire de L'échange est labyrinthique et prend racine des années plus tôt, le style du livre épouse cette incertitude et ressemble à une progression dans les ténèbres sans qu'il soit véritablement certain que la lumière apparaitra un jour. Un polar ? Un thriller ? Une oeuvre au noir plutôt, oppressante et fascinante, qui magnétise son lecteur avec une économie de moyens prodigieuse. Preuve s'il en est que la poésie peut surgir d'une forme condensée mais puissamment évocatrice.
Inutile de préciser que le livre est profondément argentin et pas seulement parce que l'un des personnages principaux est psychanalyste à la retraite. Les autres sont journaliste, flic, mafieux, garçon de café ... Certains apparaissent, le roman les accompagne quelques instants et puis, il peut arriver qu'ils disparaissent aussi vite. Ou pas. C'est l'une des particularités du livre : tout peut arriver, ou presque, il y a ce sentiment que la fatalité est plus fort que tout. Du coup, oui, l'on revient à cette idée de caractère argentin, comme une triste rengaine de tango. Pas question de trop évoquer le passé et le sale air de la peur à l'époque de la dictature. Sauf que le procès n'en a jamais été fait et que certains acteurs de cette période courent toujours et n'hésitent pas à agir quand on fouine un peu trop.
La fin de l'échange est ouverte. On peut craindre que le pire soit à venir. Il faut en tous cas le répéter le plus souvent possible : ce livre est une pépite noire !
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