jueves, 10 de marzo de 2016

Entretien avec Lise Belperron (Éditions Métailié)



Lise Belperron : "Les écrivains d’Amérique du Sud voyagent beaucoup, s’expatrient souvent"

MARIE TORRES

Les auteurs chiliens, argentins ou encore mexicains, Lise Belperron les connaît bien. Et pour cause, voilà cinq années qu’elle a rejoint les éditions Métailié, maison fondée en 1979 et spécialisée dans la littérature sud-américaine. 






Micmag.net : En quoi la nouvelle génération se distingue-t-elle de celle du fameux Boom littéraire des années 60/70 ?

Lise Belperron : En Amérique Latine, comme partout ailleurs, la nouvelle génération d’écrivains n’est pas du tout confrontée aux mêmes réalités que ses aînés : la culture se démocratise, la guerre froide est finie, la politique n’enchante plus personne et la littérature se devait d’emprunter d’autres chemins. Beaucoup de jeunes écrivains se lancent dans l’exploration du passé proche – celui qui ne passe pas – dictatures, disparus, guerres civiles…

M. : Une littérature de la mémoire ?

L.B. : Souvent, les pouvoirs en place ont décrété des amnisties générales sous prétexte de sauver la paix et ont ainsi entravé tout le travail de mémoire nécessaire ; la littérature permet de fouiller ces archives et d’entamer une réflexion sur ce qui s’est passé. C’est le cas d’Elsa Osorio, Raquel Robles, Diego Trelles Paz, Martin Kohan… pour citer les plus récents.

M. : Mais ce n’est pas le cas de tous…

L.B. : Beaucoup se sont aussi repliés sur eux-mêmes, et ont découvert les joies de l’autofiction - à la française, pour le dire vite -, en se lançant dans la description de leur vie de doctorants aux Etats-Unis, de leur vie de couple, de famille, etc. Les écrivains d’Amérique du Sud voyagent beaucoup, s’expatrient souvent, parfois pour toujours, du coup le territoire en tant qu’ancrage perd parfois un peu de poids.

A l’opposé, on trouve un certain nombre d’auteurs qui s’inscrivent dans la lignée du grand « journalisme littéraire », ou de la « narrative non fiction » : c’est du réalisme, certes, mais sans fiction ; une forme de documentaire. On raconte le réel avec toute sa subjectivité. Par exemple, Leila Guerriero, Selva Almada dans son dernier livre Les Jeunes Mortes…

On peut noter également l’immense influence du Chilien Roberto Bolaño, toujours au sommet des références pour les jeunes écrivains latino-américains, et bon nombre de trajectoires personnelles qu’on ne peut rapporter à aucun effet de mode ou de génération : des écrivains qui construisent une œuvre, tout simplement.

M. : Qu’en est-il du fameux « réalisme magique » attribué aux auteurs de la génération du Boom ?

L.B. : Le réalisme magique reste présent, parfois : les Latinos sont bien moins cloisonnés que nous et, par exemple, on y trouve un goût certain pour le fantastique, qui chez nous est plutôt considéré comme un genre mineur, peu digne d’intérêt – ces dernières années en tout cas.

M. : Concernant les femmes, peut-on dire que, depuis le succès international de « La maison des esprits » d’Isabel Allende au début des années 80, leur a ouvert la voie ?

L.B. : En réalité, certaines avaient gagné une évidente reconnaissance avant Isabel Allende, dans des cercles restreints il est vrai : Clarice Lispector au Brésil, les poétesses Alfonsina Storni ou Alejandra Pizarnik en Argentine.

Aujourd’hui, les femmes ont plus ou moins la même place qu’ailleurs sur la scène culturelle : plus rarement reconnues que les hommes, elles retournent parfois le préjugé comme un gant en s’aventurant dans des formes ou des thèmes beaucoup plus périlleux.

M. : C’est-à-dire ?

L.B. : Je pense à des thèmes féminins par excellence comme la maternité, la relation amoureuse, mais aussi la maladie ou la mort. Mais elles ne les abordent pas toujours d’une manière attendue ; beaucoup, par exemple, explorent des maternités tourmentées, compliquées ; elles sont souvent moins dans la forme, plus dans la sincérité…

M. : Des exemples ?

L.B. : Eugenia Almeida, dont nous publierons le dernier roman à la prochaine rentrée, utilise les codes du polar (un mort, des flics, des journalistes) dans un livre époustouflant qui est tout sauf un polar ! plutôt du côté du thriller métaphysique, pas très loin de Beckett !

On en voit quelques-unes s’aventurer du côté de la « narrative fiction », sur des sujets aussi divers que le malambo (une danse folklorique argentine), chez Leila Guerriero – elle sera publiée chez Bourgois-, la Patagonie, le sexe chez Gabriela Wiener, la Palestine pour Lina Meruane, le féminicide poue Selva Almada. Mais ceci n’est pas très important, et là encore on peut difficilement établir des généralités, pour moi, il y a les bons livres et les mauvais livres…

M. : En conclusion ?

L.B. : On peut dire qu’avec des auteurs comme Piedad Bonnett, Aurora Venturini, Lina Meruane, Selva Almada, Elsa Osorio, Eugenia Almeida, Adriana Lisboa, Ana Paula Maia, Lucia Puenzo… Les femmes sont vraiment entrées en littérature, même si elles restent minoritaires parmi les auteurs alors que, ne l’oublions pas, l’édition est un des milieux les plus féminins qui soient !



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