"L’AUTOBUS" - EUGENIA ALMEIDA
13 JANVIER 2018
Rédigé par Pollen Iodé et publié depuis Overblog
En Argentine, un coup d’Etat a lieu, mais les habitants du petit village où se déroule le récit (à l’exception des retours dans le passé des personnages) ne sont pas au courant de ce qui se passe, du fait de leur état d’isolement et de la censure de la presse écrite et radiophonique – la télévision n’ayant pas cours. Ils sont avertis indirectement du changement par des évènements inhabituels : on reçoit l’ordre de bloquer la voie ferrée, l’autobus qui dessert habituellement l’endroit ne s’y arrête plus et des livres sont mystérieusement abîmés dans la bibliothèque. La tension à laquelle sont soumis les personnages révèle des facettes jusque là dissimulées de leurs personnalités.
Le livre veut montrer en quoi une personne peut assez facilement avoir l’air du contraire de ce dont elle est réellement : Marta est sans cesse joviale, en public, en dépit de sa vie conjugale désolante, Antonio Ponce se veut correct (il a épousé Marta pour lui éviter le déshonneur, après qu’elle soit devenue enceinte de lui) mais il n’est que despotique et effrayé par le qu’en dira-t-on (il se marie par peur d’un éventuel scandale autour de Marta, mais il n’aime pas celle-ci, qui ne veut pas l’épouser, il ne tient pas compte de sa volonté et il la traite cruellement), sa sœur Victoria a un caractère perspicace et affirmé mais elle est très réservée, le coursier Gomez a l’air porté sur le commérage et un peu frivole mais est en fait sensible et avide de savoir en général (pas seulement de ragots), le commissaire semble être un homme fort à première vue mais est en pratique servile et décontenancé, et ainsi de suite. Le secret est par ailleurs un thème important du roman ; le gouvernement tient secrètes ses activités, le voyageur de commerce et sa petite amie ont des identités mystérieuses, le régime militaire du pays veut les faire passer pour de dangereux révolutionnaires mais ils ne sont vraisemblablement rien de tel, et assassinés sous un faux prétexte, les gens sont invités à tenir leur langue s’ils veulent éviter les ennuis et la question de savoir à qui on fait confiance devient évidemment d’autant plus importante sous un régime d’oppression.
Le texte est court mais efficace, il suscite en peu de mots des sentiments assez nets chez la personne qui lit, vis-à-vis des personnages. L’auteur a pris le parti de la brièveté contre celui du long documentaire pour dénoncer la prise de pouvoir dictatoriale, choix qui lui réussit assez bien. Le personnage de Marta, devenue en apparence une grande partisane du conformisme pour mieux cacher la blessure que lui a causée l’emprise indésirable de celui-ci sur sa vie, est particulièrement intéressant pour son ambiguïté. L’ouvrage suggère plutôt qu’il ne décrit et c’est ce qui fait sa force. Il contient plus d’indignation implicite que de réflexion philosophique ou autres prétentions du même ordre, mais justement compte tenu de son peu de prétentions il est pour finir assez percutant. Son début est un peu lent mais la suite l’est bien moins. C’est un bon exemple du genre laconique mais efficace.*
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